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Kassem Istanbouli, lauréat du prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe: l’art est un droit pour tous

Il est l’heureux co-lauréat du prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe 2023, remis le 26 juin au siège de l’UNESCO à Paris. A 37 ans, l’acteur et cinéaste libanais Kassem Istanbouli peut se vanter d’un parcours des plus atypiques, au cours duquel il a créé en 2008, la troupe théâtrale Istanbouli à Tyr, sa ville natale, et fondé l’association Tiro, qui a pour objectif d’offrir des opportunités artistiques diverses aux plus jeunes à travers le Liban. Rencontre.
UNESCO - Sharjah Prize for Arab Culture - Kassem Istanbouli

Vous êtes l’heureux lauréat du prix UNESCO Sharjah pour la culture arabe pour 2023. A quel point êtes-vous fier de cette victoire ? Quel souvenir gardez-vous de cette annonce?

Toute reconnaissance crée un sentiment de fierté, et je suis extrêmement fier d’avoir reçu un prix venant de l’UNESCO en particulier, et créé par une personnalité comme Cheikh Sultan bin Muhammad Al-Quasimi, dans le cadre d’une compétition internationale réunissant des nominations venant des quatre coins du monde. C’est un sentiment extraordinaire, d’autant plus que la valeur de ce prix est liée au patrimoine, à la culture, et à l’identité arabe, et qu’il vise à mettre à l’honneur la culture arabe. En fait, je ne m’attendais vraiment pas à gagner. J’étais à Oman quand j’ai reçu plusieurs appels téléphoniques d’un numéro que je ne connaissais pas, et je m’obstinais à raccrocher car j’étais très occupé. Au final, j’ai décroché, un peu vexé, pour découvrir qu’il s’agissait de l’UNESCO à l’autre bout du fil et que j’avais gagné ce prix. Une vraie surprise !

Quel élément de votre candidature a-t-il fait la différence selon vous?

Je pense qu’il s’agit de l’ensemble de mon parcours, ce rêve et cette détermination que je poursuis depuis plus de 15 ans. Ce projet de décentralisation culturelle qui vise à briser toutes les barrières au Liban et de lier le pays par l’art, de Tripoli jusqu’à Tyr. Nous avons ouvert les salles de cinéma et de théâtre à tous, car l’art est un droit qui doit être accessible, aux plus pauvres avant les riches. C’est aussi une victoire collective, car elle honore le travail de tous ceux qui ont pris part à ce parcours, artistes, bénévoles et techniciens, au sein de mon association Tyro, dans le cadre de la réhabilitation des anciennes salles de cinéma, ou même à travers toutes les productions culturelles qui ont été créées et présentées au fil des nombreux festivals que nous organisons. Ce qui a commencé comme un rêve individuel a grandi avec les rêves de tellement de personnes, et c’est comme cela que nous avançons vers un véritable changement social et culturel, avec une prise de conscience croissante sur l’importance de l’art, de l’identité, et de la préservation de notre passé et de notre Histoire.

UNESCO - Sharjah Prize for Arab Culture - Kassem Istanbouli

Quel impact votre vocation et votre passion pour l’art ont-elles eu sur votre communauté?

Sur le plan concret, nous avons réhabilité et rouvert 4 salles de cinéma qui étaient fermées et oubliées. Nous avons fondé le Théâtre national libanais, le premier gratuit au Liban, et qui a pour but de créer un espace culturel public et indépendant ouvert à tous. Des centaines de personnes, Libanais ou non-Libanais résidant au Liban, ont ainsi pu profiter d’ateliers de formation en photographe, en cinéma et en théâtre. C’est un endroit qui ressemble à tous les gens, ceux qui vivent dans des environnements peu fertiles pour la culture, et qui n’est pas réservé aux intellectuels et aux personnes cultivées. Nombre d’entre eux ont grandi pour devenir des acteurs, des photographes et des réalisateurs professionnels. Quant à nos festivals, dont 6 sont annuels, ils ont réuni jusque-là au Liban des artistes venant de 56 pays. L’association Tiro, elle, compte 323 adhérents, tous bénévoles.

Quels ont été vos plus grands défis?

Nous avons commencé de zéro, ou moins. Nous n’avions que notre passion pour le théâtre et le cinéma. Nous avons commencé à nous produire dans la rue, puis dans les maisons. Ensuite, nous avons pu créer un petit théâtre. Puis le groupe a grandi quand nous avons créé l’association, et tout cela sans le moindre soutien financier. Aujourd’hui, nous sommes présents sur le terrain et bien ancrés. Nous avons les bases pour continuer à construire mais nous devons faire face aux défis au quotidien. Deux de nos salles de cinémas ont d’ailleurs été fermées et le sont toujours.

L’UNESCO Beyrouth exécute de nombreux projets pour la sauvegarde et l’essor de la culture au Liban, ainsi que le soutien aux industries culturelles et créatives, pour permettre le redressement du pays. Croyez-vous en l’art comme vecteur de changement?

L’art peut contribuer au changement et peut accompagner les mouvements sociaux et intellectuels. Il permet d’apporter une certaine éducation à travers le développement de capacités et une prise de conscience également en reflétant notre réalité. L’identité d’un pays commence par sa culture et toute réflexion sur l’avenir du pays ne peut s’en dissocier. Sans oublier que la culture peut être une force économique. Nous avons juste besoin de vraies politiques culturelles pour ne plus compter sur les initiatives personnelles comme nous l’avons fait jusque-là au Liban. En parallèle, le rôle de l’UNESCO est crucial pour aboutir au changement désiré et tous les projets de l'UNESCO au Liban, que j’ai pu suivre, sont très importants. Nous avons besoin de soutenir et de préserver la culture ainsi que nos nombreux artisans, maitres de leur art, car ils font partie du patrimoine. Et je suis confiant que nous travaillerons ensemble en partenariat avec l'UNESCO pour atteindre plus d'objectifs à l'avenir afin d'autonomiser les jeunes, les femmes et les enfants et d'activer le rôle des arts dans l'éducation, la sensibilisation, le développent sociétal, le dialogue et la préservation du patrimoine culturel et artistique.

Comment envisagez-vous la suite du chemin?

L’important à présent est de nous consacrer de nouveau sur la création de productions artistiques. Nous avons beaucoup d’histoires à raconter, de choses à dire. Ensuite, l’idéal serait de transposer cette expérience vers de nouvelles régions, et même vers un autre pays arabe, pour préserver notre mémoire, notre patrimoine, notre identité. Le rêve doit continuer.

Créé en 1998, à l’initiative du Cheikh Sultan bin Muhammad Al-Quasimi, le Prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe récompense chaque année deux lauréats – individus, groupes ou institutions – qui, par leur travail et leurs réalisations exceptionnelles, se sont efforcés de faire l’art et la culture arabes mieux connus. Les lauréats sont choisis par le Directeur général de l’Unesco, sur recommandation d’un jury international composé d’experts dans le domaine de la culture arabe qui se sont distingués depuis plusieurs années par des actions méritoires. Ils contribuent ainsi à la promotion du dialogue culturel et à la revitalisation de la culture arabe. L'acteur et réalisateur libanais Kassem Istanbouli a reçu le prix Unesco Sharjah 2023, en reconnaissance à sa « contribution importante à la culture arabe », indique un communiqué du jury qui a également accordé la récompense à Hajer Ben Boubaker, chercheuse et réalisatrice française, lauréate ex æquo de cette édition.

UNESCO - Sharjah Prize for Arab Culture - Kassem Istanbouli