« Je n’ai aucune difficulté à suivre les cours, car ils sont dispensés dans une langue que je comprends mieux », explique Cheikh Talib, un apprenant sénégalais qui bénéficie d’un projet pilote de l’UNESCO proposant une formation professionnelle à des jeunes analphabètes et non scolarisés. « Par la suite, j’aimerais créer une grande entreprise de charpenterie ici, à Saint-Louis, et former des charpentiers en utilisant la langue wolof, comme dans la formation dont j’ai eu la chance de bénéficier. »
Les chiffres montrent qu’au Sénégal, seulement 1 % des élèves de deuxième année d’études reçoivent un enseignement dans la langue qu’ils parlent à la maison. Les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) indiquent que les enfants scolarisés dans une langue qu’ils ne parlent pas chez eux risquent davantage d’abandonner prématurément leurs études. Ces difficultés se retrouvent dans l’éducation des adultes. L’absence d’enseignement bilingue contribue à démotiver les apprenants, ce qui peut conduire à un décrochage scolaire. Le taux de scolarisation du Sénégal, qui s'élève à 85,9 % (2020) (*), est inférieur à l'objectif national de 90,8 % et constitue un facteur majeur de l’augmentation du nombre de jeunes analphabètes et non scolarisés. C’est la raison pour laquelle l’UNESCO apporte son soutien au Gouvernement dans le cadre d’une initiative pilote visant à offrir aux jeunes analphabètes ou non scolarisés une formation professionnelle par le biais de son Programme de développement des capacités pour l’éducation (CapED).
Ce projet consiste à mettre en place un programme de formation en charpenterie dans deux centres de formation professionnelle à Kaffrine et à Saint-Louis afin de tirer parti d’un nouveau modèle pédagogique. Ce modèle est innovant en ce qu’il consiste à dispenser la formation en wolof plutôt qu’en français, en s’appuyant sur des ressources numériques. Le fait de proposer les cours dans la langue maternelle des apprenants a donné plusieurs résultats. Les jeunes et les personnes ayant quitté prématurément l’école sans savoir lire, écrire, ni compter, qui étaient auparavant exclus, peuvent à présent s’inscrire dans un centre de formation. Le nouveau cursus dure désormais deux ans au lieu des trois habituels, ce qui minimise le risque de décrochage et prépare les apprenants à entrer plus rapidement sur le marché du travail. Ce changement a notamment permis de presque doubler le nombre d’étudiants inscrits.
Formation professionnelle en langue wolof
Le programme a contribué à développer les capacités de 16 formateurs en wolof, en technopédagogie, en montage vidéo et en écriture. Aujourd’hui, les formateurs sont capables de réaliser de courtes vidéos éducatives sous-titrées en wolof, qui sont ensuite publiées sur une plate-forme dédiée gérée par le Ministère de la formation professionnelle et mises à la disposition des centres de formation à travers le pays. La première cohorte d’apprenants charpentiers, qui a commencé sa formation en 2022, acquiert également des compétences en économie, en développement personnel et en entrepreneuriat. À l’issue de leur formation de deux ans, les apprenants passeront leur examen et, en cas de réussite, recevront un certificat de compétence professionnelle reconnu.
Dans le cadre de cette initiative, un glossaire illustré de charpenterie contenant 1 200 termes a été créé. Il s’agit d’une contribution importante à la normalisation de la langue wolof. Ce projet pilote devrait être étendu à d’autres métiers et d’autres langues afin de créer de nouveaux glossaires. Il complète les activités du Programme visant à faire des langues nationales un vecteur d’enseignement dans l’éducation formelle et informelle.
« Ce projet surpasse les autres, parce qu’il se déroule en wolof », déclare Alouine Bar, l’un des formateurs en charpente qui ont participé au projet pilote. Il précise que dans tout le Sénégal, les centres de formation n’arrivent pas à remplir leurs classes parce que les cours ne sont pas dispensés dans la langue maternelle des apprenants. Il constate que l’initiative a permis à son centre d’attirer de nouveaux apprenants : « Cette année, nous avons 20 apprenants. Avant, ils n’étaient que cinq ou sept, à cause de la barrière de la langue. Certains apprenants n’avaient aucune compétence à l’oral ou à l’écrit en français. Lorsqu’ils venaient, ils achevaient une ou deux années et abandonnaient ensuite. » Alouine explique que le wolof est plus compliqué que le français, car il s’agit d’une langue orale, et que le soutien d’alphabétiseurs s’avère indispensable. À l’avenir, il aimerait renforcer les compétences en alphabétisation non seulement des formateurs, mais aussi de l’ensemble du personnel du centre de formation.
Par la suite, il est prévu d’élargir ce modèle à d’autres domaines et à d’autres langues nationales. L’équipe du Programme a également élaboré un guide à l’intention des formateurs sur l’assurance qualité dans les établissements de formation professionnelle, qui sera diffusé à l’échelle nationale afin que tous les centres de formation puissent en bénéficier. Le projet pilote complète les activités de l’UNESCO en soutien au développement de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle ainsi qu’au secteur de l’enseignement et de la formation techniques et professionnels (EFTP) au Sénégal.
- En savoir plus sur le Programme de développement des capacités pour l’éducation (CapED) de l’UNESCO
(*) République du Sénégal, Ministère de l’Education nationale, Direction de la Planification et de la Réforme de l’Education, « Rapport annuel de performance du secteur de l’éducation et de la formation », mai 2021, p.-9