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The Tracker Culture & Politiques publiques | Édition spéciale n°3 : MONDIACULT 2022 à l'horizon
Les évolutions du patrimoine culturel : forger des alliances plus fortes entre le patrimoine et les communautés
Depuis longtemps, le patrimoine culturel est reconnu comme un processus dynamique qui relie le passé au présent et se projette vers l’avenir. Le patrimoine culturel traverse le temps et l’espace. Il est le fruit du génie humain tout en étant le lien invisible et intrinsèque qui relie les hommes à la nature et à la planète. Les 70 dernières années ont permis de voir les composantes multidimensionnelles du patrimoine culturel élargir sa définition pour tendre vers plus d’équité, tout en valorisant le lien intrinsèque entre l’humanité et le patrimoine culturel et la responsabilité commune envers sa protection, sa préservation, sa sauvegarde et sa promotion.
Le patrimoine culturel n’est pas simplement un héritage transmis par le passé, c’est aussi une boussole pour l’avenir. Qu’il s’agisse d’éléments tangibles, comme des bâtiments historiques, des sites archéologiques et des paysages culturels et naturels, ou intangibles, notamment des rituels et des pratiques, le patrimoine culturel imprègne les attitudes, les comportements et les activités du présent et de l’avenir. Il n’est donc pas surprenant que le patrimoine culturel soit à l’avant-garde de nombreux débats contemporains, y compris dans l’arène politique. Ce que nous pouvons — et devons — apprendre du passé est une grande source d’inspiration pour le débat public sur les questions d’aujourd’hui, y compris les questions de représentation et de propriété du patrimoine, la responsabilité partagée envers sa protection aux niveaux national et local, ainsi que la protection contre la destruction intentionnelle pour semer la discorde. Le patrimoine culturel peut dynamiser un urbanisme visionnaire, le développement économique local, le dialogue interculturel, la réforme des systèmes éducatifs et, surtout, l’inclusion sociale.
De nombreux outils existent déjà , notamment les instruments normatifs de l’UNESCO, mais nécessitent une approche et une méthode novatrices et une mise en œuvre efficace pour permettre d’affronter les défis qui touchent le patrimoine culturel. Les attaques délibérées contre la culture et le patrimoine culturel dans les situations de conflit armé pour semer la discorde se multiplient manifestement. La destruction intentionnelle du patrimoine culturel va de pair avec les restrictions des droits humains et des libertés fondamentales, à l’opposé de l’exigence fondamentale d’un patrimoine culturel rendu accessible à tous. De même, le trafic illicite de biens culturels constitue un problème de plus en plus universel, alimentant parfois des activités illégales telles que le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et attisant instabilité et conflits, privant chaque fois les communautés de leur propre passé. Le changement climatique accroît la pression sur les sites du patrimoine culturel et perturbe les pratiques du patrimoine culturel immatériel. L’avenir de notre passé et de notre présent est un enjeu clé pour la Conférence mondiale de l’UNESCO sur les politiques culturelles et le développement durable, MONDIACULT 2022, qui aura lieu au Mexique en septembre. Il s’agit notamment de savoir comment le patrimoine peut être utilisé comme facteur d’inclusion, de justice sociale et de paix.
Patrimoine culturel et recherche de l’universalité : du loisir à l’humain
Depuis sa fondation en 1945, l’UNESCO a plaidé pour la sauvegarde du patrimoine culturel, reconnaissant son importance centrale pour les individus, les communautés et l’humanité, et guidant le débat international pour s’assurer que ces outils sont en phase avec l’évolution du paysage mondial. Au cœur des instruments normatifs de l’UNESCO pour le patrimoine se trouvent les principes fondamentaux du respect des droits humains et du pluralisme. Le droit d’accéder à la culture et de participer à la vie culturelle est extrêmement pertinent dans le contexte actuel pour assurer des sociétés pacifiques et harmonieuses, et le patrimoine est un élément clé pour favoriser un sentiment d’inclusion sociale. Reconnaissant l’importance essentielle du patrimoine pour les communautés, depuis plus de 75 ans, la communauté internationale a développé plusieurs piliers du droit international sous la forme des Conventions culturelles de l’UNESCO. Ce processus de reconnaissance internationale de la nécessité de protéger le patrimoine, en particulier dans les situations de conflit, a commencé à la fin du 19ème siècle mais a été accéléré par les effets dévastateurs de deux Guerres mondiales. La notion de besoin universel de protéger et de sauvegarder le patrimoine a gagné en importance à mesure que les nouveaux États indépendants réaffirmaient leurs cultures. Le lancement des campagnes internationales de sauvegarde de l’UNESCO dans les années 1960, notamment la relocalisation des monuments d’Abou Simbel de l’ancienne civilisation de Nubie pour les protéger de la montée des eaux du Nil, a donné naissance à une solidarité mondiale sans précédent et à une reconnaissance de la valeur universelle du patrimoine pour l’humanité.
L’adoption de la a marqué une nouvelle prise de conscience mondiale du rôle que la culture joue pour la mémoire de l’humanité et pour la sécurité. En effet, la culture et le patrimoine étaient considérés comme si essentiels pour assurer la stabilité mondiale, après deux Guerres mondiales dévastatrices, que la Convention de 1954 était le deuxième accord important négocié par les Nations Unies dans le domaine du droit humanitaire international, après la Convention sur le génocide de 1948. Que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre, elle établit des normes minimales de protection des biens culturels immobiliers (tels que les monuments architecturaux, artistiques ou historiques, ou les sites archéologiques) et des biens culturels mobiliers (œuvres d’art, manuscrits, livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques indépendamment de leur origine ou de leur propriété). Conformément à la Convention, les parties doivent poursuivre et imposer des sanctions pénales ou disciplinaires aux personnes qui commettent ou ordonnent une violation de la Convention, quelle que soit leur nationalité. Le deuxième Protocole de la Convention renforce cette disposition en exigeant la codification d’une infraction pénale, y compris l’extension de la responsabilité au commandement supérieur.
C’est en grande partie grâce à cet instrument et à l’escalade des destructions intentionnelles du patrimoine culturel dans des pays comme l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie que l’UNESCO a intensifié sa mobilisation internationale pour la reconnaissance de cette destruction intentionnelle comme un crime contre l’humanité. Cela a conduit le Tribunal pénal international des Nations Unies pour l’ex-Yougoslavie à rendre en 2004 la première condamnation pour destruction délibérée du patrimoine culturel à l’encontre d’un ancien officier naval yougoslave, Miodrag Jokić, pour son rôle dans l’ordre donné à des centaines de mortiers de tirer sur la vieille ville de en 1991, qui avait été inscrite cette année-là sur la liste du patrimoine mondial en péril. Plus récemment, en 2016, la Cour pénale internationale a reconnu le djihadiste malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi coupable de crimes de guerre pour la destruction en 2012 de dix sites religieux à : c’est le premier jugement à avoir considéré la destruction délibérée du patrimoine culturel comme un .
Ces arrêts internationaux pris par ces organes judiciaires officiels ont également contribué à une meilleure compréhension par la communauté internationale de la responsabilité humaine dans la protection et la préservation du patrimoine culturel. La notion de responsabilité, aux côtés de celle d’universalité, a contribué à renforcer le récit mondial sur la signification du patrimoine culturel dans le monde. Le ciblage délibéré du patrimoine dans les conflits a reçu plus d’attention en 2017 grâce à sa reconnaissance officielle par le Conseil de sécurité de l’ONU comme un impératif pour la paix et la sécurité. Le nombre de conflits armés s’est accru depuis les années 1980, entraînant une augmentation des destructions de sites historiques par les groupes terroristes et une prolifération du trafic d’objets culturels. du Conseil de sécurité de l’ONU couvre l’ensemble des menaces pesant sur le patrimoine culturel, sans aucune limitation géographique et indépendamment du fait que les auteurs des crimes soient des groupes terroristes figurant déjà sur les listes de l’ONU ou appartiennent à d’autres groupes armés. Elle envisage également la possibilité d’employer des opérations de maintien de la paix de l’ONU pour fournir une assistance, en collaboration avec l’UNESCO, dans la protection du patrimoine culturel dans les situations de conflit.
L’UNESCO est dépositaire du premier outil international afin de lutter contre le trafic illicite de biens culturels, la Convention de 1970 de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert illicites . Dans les années 1950, à mesure que de plus en plus d’États accédaient à l’indépendance, ils cherchaient à créer un traité international pour empêcher leurs biens culturels d’entrer sur le marché noir. La Convention de 1970 prévoit également des clauses pour le retour et la restitution des biens culturels, bien qu’elle ne s’applique pas aux biens culturels déplacés avant son adoption, ce qui a conduit en partie à la création du Comité intergouvernemental de l’UNESCO pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation (ICPRCP) en 1978, afin de faciliter le dialogue et les négociations, et plus récemment à l’intégration d’un mécanisme de médiation. La coopération internationale est également essentielle pour réglementer le commerce international des biens culturels. Afin d’être plus efficace dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, l’UNESCO a demandé à l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) d’étudier les questions de droit privé qui ne sont pas directement traitées par la Convention de 1970. complète les dispositions de la Convention de 1970.
La Convention du patrimoine mondial de 1972 incarne le sens de l’universalité à travers son principe directeur de « la valeur universelle exceptionnelle » d’un site en raison de son importance culturelle et/ou naturelle pour les générations présentes et futures, qui ne concerne pas seulement les États membres mais la communauté internationale. Elle reste l’une des plus ratifiées de toutes les conventions internationales (avec 194 États parties) et contribue à la diplomatie culturelle, notamment à travers les sites transfrontaliers qui favorisent la coopération. En 50 ans, la conceptualisation du patrimoine mondial s’est étendue pour inclure non seulement les attributs physiques d’un site, mais aussi ses fonctions sociales et ses valeurs, conduisant à de nouveaux critères tels que l’authenticité. L’approche de la conservation du patrimoine culturel a également évolué, passant d’une approche centrée sur les monuments à une perspective plus large conduisant à l’émergence de nouvelles catégories de sites comme les paysages culturels ou urbains. Le Convention de 1972 contient également un mécanisme d’alerte de la communauté internationale sur les conditions qui menacent le patrimoine mondial. La est un moyen d’encourager une action corrective pour les biens à risque en raison de conflits armés et de guerres, de tremblements de terre et autres catastrophes naturelles, de pollution, de braconnage, d’urbanisation incontrôlée ou de développement touristique non contrôlé.
De la protection et de la préservation du patrimoine culturel à la pleine reconnaissance de la diversité de ses dimensions
MONDIACULT 1982 a marqué un changement dans les politiques culturelles, en plaçant les besoins des personnes au cœur des débats, et faisant naître une « deuxième génération » de Conventions culturelles de l’UNESCO. La Conférence, en plus de redéfinir le concept de culture (en incluant dans sa définition non seulement les arts et les lettres, ainsi que le patrimoine vivant, mais aussi les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances), a approuvé une nouvelle définition du patrimoine culturel qui comprenait à la fois des œuvres tangibles et intangibles à travers lesquelles la créativité des personnes trouve une expression : langues, rites, croyances, lieux et monuments historiques, littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques. La Déclaration de Mexico a en outre déclaré que chaque culture représente un ensemble unique et irremplaçable de valeurs puisque les traditions et les formes d’expression de chaque peuple sont ses moyens les plus efficaces pour faire montre de sa présence dans le monde. En ce sens, elle a également fait remarquer que l’identité culturelle et la diversité culturelle sont inséparables et que la reconnaissance de la présence d’une variété d’identités culturelles partout où différentes traditions existent côte à côte constitue l’essence même du pluralisme culturel. La transition a placé les personnes au centre de la sauvegarde du patrimoine culturel.
La première Convention culturelle de l’UNESCO de cette nouvelle génération, la Convention sur le patrimoine culturel sous-marin de 2001, reconnaît dans sa première ligne que le patrimoine sous-marin est un « élément particulièrement important dans l’histoire des peuples, des nations et de leurs relations mutuelles concernant leur patrimoine commun ». Elle exhorte les États à prendre toutes les mesures appropriées pour protéger le patrimoine sous-marin en tant que relique historique afin de permettre une meilleure connaissance et appréciation de la culture, de l’histoire et de la science du passé. Comprendre et conserver le patrimoine culturel sous-marin, un patrimoine particulièrement vulnérable, nous aide aussi à comprendre des phénomènes tels que le changement climatique et la montée du niveau des océans.
Une approche du patrimoine centrée sur l’humain est inscrite dans l’ADN de la , aussi appelé patrimoine vivant. Développée dans un contexte de regain d’intérêt pour la protection de la diversité culturelle et des savoirs traditionnels des groupes minoritaires et des peuples autochtones face à la mondialisation, elle se concentre sur les , qu’il s’agisse de communautés, de groupes ou d’individus. Son adoption marque la reconnaissance du fait que le patrimoine culturel ne se limite pas aux monuments et collections d’objets, mais qu’il inclut aussi des traditions ou des expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants. Le patrimoine vivant contribue à la cohésion sociale, encourageant un sentiment d’identité et de responsabilité qui aide les individus à se sentir intégrés dans une ou plusieurs communautés et à se sentir intégrés dans la société en général. La Convention de 2003 demande explicitement la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales à l’identification et à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. L’éducation et la transmission intergénérationnelle du patrimoine vivant revêtent une importance intrinsèque dans la Convention de 2003 pour sauvegarder ce type de patrimoine, tout en permettant son évolution. C’est l’une des conventions internationales les plus rapidement ratifiées (avec 179 États parties en moins de 20 ans), ce qui témoigne de l’intérêt des gouvernements du monde entier pour l’exploitation de cette richesse culturelle.
Le patrimoine culturel est également reconnu comme une « source de créativité » et, à ce titre, comme une ressource vivante et évolutive, inscrite dans la . Le patrimoine culturel immatériel contribue notamment aux objectifs de la , dernière de la « deuxième génération » des Conventions culturelles de l’UNESCO. Alors que la Convention de 2003 se concentre sur les pratiques vivantes, la Convention de 2005 se focalise sur les produits de la créativité humaine. Pour la Convention de 2003, les communautés sont les détentrices du patrimoine culturel immatériel, qui sont au cœur des processus de sauvegarde. Dans la Convention de 2005, la société civile joue un rôle prépondérant dans la promotion de la diversité des expressions, en s’appuyant sur la créativité individuelle et la diversité culturelle.
Le patrimoine culturel est une ressource fondamentale pour le développement durable dans ses trois dimensions - économique, sociale et environnementale. Le patrimoine culturel possède le potentiel pour renforcer le capital social, stimuler la croissance économique et garantir la durabilité environnementale.
Suivre la boussole : le patrimoine culturel comme source d’identité, de résilience et d’engagement
Libérer pleinement le potentiel du patrimoine culturel pour les communautés et la planète (sur l’ensemble du spectre des politiques publiques) a été un thème majeur lors des consultations régionales MONDIACULT 2022, avec les États membres et d’autres parties prenantes. Il a été souligné à plusieurs reprises que la crise sanitaire du COVID-19 avait mis en lumière la valeur souvent considérée comme acquise du patrimoine culturel matériel et immatériel, ainsi que du secteur créatif, en termes économiques, sociaux et environnementaux. Les participants aux consultations ont souligné la nécessité d’un engagement plus délibéré à promouvoir une approche de la culture fondée sur les droits dans les politiques publiques — englobant la pleine reconnaissance des systèmes de connaissance locaux, notamment pour renforcer l’adaptation, l’atténuation et la résilience face aux défis posés au patrimoine culturel par les dangers naturels, le droit de bénéficier de l’accès à son patrimoine culturel (y compris les pratiques) et d’en profiter, pour la diversité linguistique des individus et des communautés — comme essentielle pour vivre ensemble dans l’harmonie et la diversité, en favorisant la paix, la stabilité et le développement durable. Les principes sous-jacents réitérés à cette occasion étaient l’importance vitale d’une prise de décision socialement inclusive, basée sur un engagement en faveur du pluralisme et de l’inclusion des communautés dans la gestion durable du patrimoine culturel pour les générations futures.
Au cours des consultations régionales, trois grands thèmes ont émergé :
1. Patrimoine culturel en situation de conflit : la nécessité impérieuse de la coopération internationale face à la destruction intentionnelle et au trafic illicite ;
2. Patrimoine culturel face au changement climatique : la valorisation des systèmes de connaissance et de réponse locaux ;
3. Soutenir les revendications des communautés en matière de droits humains et de justice sociale grâce à l’accès à leur patrimoine culturel et à ses avantages
1. Patrimoine culturel en situation de conflit : la nécessité impérieuse de la coopération internationale face à la destruction intentionnelle et au trafic illicite
Les participants aux consultations régionales ont reconnu que le ciblage de la culture et du patrimoine culturel dans les situations de conflit armé a conduit à des destructions et à l’amplification du trafic illicite de biens culturels. Ils se sont notamment inquiétés de ces violations des droits humains et culturels, de la perturbation des pratiques culturelles vivantes et de la vulnérabilité accrue des institutions et sites culturels, témoignant d’une instrumentalisation croissante de la culture pour semer la discorde et susciter l’isolement, les discriminations et la réduction des droits fondamentaux, allant à l’encontre de la valeur intrinsèque et fondamentale de la culture en tant qu’unificateur, tout en sapant les fondements de la diversité culturelle dans le monde. Cependant, certains participants ont souligné que le patrimoine culturel était une ressource pour reconstruire les communautés à la suite de conflits et d’autres catastrophes. Le dialogue international et les efforts de coordination devaient donc être intensifiés.
Si le patrimoine est parfois une cible de guerre, voire une arme, il peut aussi être un vecteur de paix. En effet, la protection du patrimoine contribue à l’activité locale, au développement durable, au dialogue interculturel et interreligieux, à la réconciliation et, par là même, à la paix.
PERSPECTIVE : Point de situation sur le trafic illicite
Le trafic illicite d’objets d’art n’est pas un problème récent et il ne touche pas exclusivement une région du monde. Il constitue aujourd’hui une forme de délinquance qui est dans une phase inquiétante d’expansion au niveau international. […] Les moyens humains et financiers disponibles, tout comme les remparts législatifs ou réglementaires au niveau national, ont malheureusement été insuffisants face aux urgences reconnues. Les droits nationaux en la matière sont très différents et c’est justement sur cette diversité que jouent les trafiquants, […] La protection du patrimoine culturel constitue l’un des principaux intérêts de politique culturelle de tout pays. Cela implique la protection de son propre patrimoine, mais aussi le respect du patrimoine des autres Etats. Or la situation juridique en matière de protection internationale des patrimoines culturels nationaux face au trafic illicite a longtemps été qualifiée de coopération internationale restreinte car les pays dits « exportateurs » ont été pratiquement les seuls à y participer. La plus grande partie des pays « importateurs » sont en effet restés en dehors.
PERSPECTIVE : Futur de la protection des biens culturels
Professor Peter G Stone,
Chaire UNESCO paix et protection des biens culturels,
Université de Newcastle, Président du Bouclier bleu
La Convention de 1954 et ses Protocoles d’accord de 1954 et 1999 restent la première législation humanitaire interne pertinente mettant en avant l'importance du patrimoine culturel pour la réconciliation, la cohésion communautaire, la dignité et le bien-être, mais ils ont été renforcés par la suite*. Un cadre de protection des biens culturels en cas de conflit armé existe donc. Il ne faut pas considérer cela comme « quelque chose qu’il est bon d’avoir » ou comme un inutile fardeau supplémentaire pour les gouvernements et leurs forces armées qui ont tous deux des responsabilités spécifiques en vertu de ce cadre, mais comme faisant totalement partie intégrante de la protection des individus et des communautés.
Malheureusement, comme le montrent plusieurs conflits récents et actuels, les biens culturels ne sont pas seulement endommagés et détruits involontairement, mais ils peuvent être délibérément visés dans les conflits. Dans certains cas, une mauvaise interprétation du passé est une cause de conflit. Ce qu'il faut, c'est que toutes les nations appliquent correctement le cadre de protection avant le déclenchement d'un conflit armé, et qu'elles assument leurs responsabilités en matière de protection et de respect de tous les biens culturels pendant un conflit armé. Les biens culturels peuvent donner aux individus et aux communautés un sentiment d’appartenance à un lieu, d’identité, de dignité et de bien-être. Ce sentiment peut engendrer un mécanisme de consolidation de la paix et de réconciliation, et créer des communautés saines, pacifiques, stables et durables. Le manque de protection et de respect peut créer un contexte dans lequel le pillage des biens culturels devienne la norme, et permette dans certains cas le financement des organisations terroristes et l'extension du conflit.
Il est irréaliste d'envisager un moment, dans un avenir proche, où il n'y aura pas de conflit armé. Par conséquent, les mesures d'atténuation visant à protéger les biens culturels, et donc à protéger les individus et les communautés, doivent devenir la norme et être pleinement intégrées dans la planification politique et militaire des conflits et dans la réponse au conflit apportée en commun par le reste des secteurs patrimoniaux et humanitaires. Le Bouclier bleu, un organe consultatif du Comité pour la protection des biens culturels de l'UNESCO, a identifié huit menaces pour les biens culturels dans les conflits armés (qui peuvent concerner à la fois les déploiements de maintien de la paix et les catastrophes suivantes) : 1.) Manque de planification ; 2.) Manque de connaissances militaires et humanitaires ; 3.) Dommages collatéraux et accidentels ; 4.) Ciblage spécifique (ou délibéré) ; 5.) Pillages et butins de guerre ; 6.) Réutilisation délibérée des sites ; 7.) Abandon forcé (le personnel ne pouvant plus accéder aux sites) ; 8.) Développement. Au cours des 20 prochaines années, des menaces spécifiques supplémentaires viendront s’y ajouter : 9.) Multiplication des cyberattaques contre les institutions culturelles 10.) Conflits et catastrophes naturelles/d'origine humaine dus au changement climatique.
Ces dix menaces doivent être reconnues, traitées, et servir de base à l'avenir pour la protection et la sauvegarde du patrimoine en cas de conflit.
MESSAGE CLÉ: Les participants à la consultation régionale MONDIACULT 2022 ont signalé la nécessité de poursuivre un dialogue ouvert et inclusif sur la réduction du trafic illicite de biens culturels, ainsi que de renforcer la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO de 1970 et des Conventions de 1954, ainsi que des mécanismes connexes, en particulier pendant les conflits armés.
2. Patrimoine culturel face au changement climatique : la valorisation des systèmes de connaissance et de réponse locaux ;
Plusieurs participants aux consultations régionales ont souligné le fait que le patrimoine culturel est affecté par le changement climatique depuis plusieurs décennies déjà , y compris les menaces visant les sites du patrimoine mondial et la perturbation des pratiques du patrimoine culturel vivant. Certaines menaces sont des risques à long terme, comme la montée du niveau de la mer et l’acidification des océans, d’autres sont dues à des événements, comme des incendies et des cyclones. Les températures extrêmes et les précipitations peuvent également compromettre le patrimoine bâti. Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) sont parmi les plus vulnérables et souvent les plus directement exposés aux conséquences du changement climatique, y compris les événements météorologiques extrêmes tels que les cyclones et les ouragans qui menacent le mode de vie traditionnel des communautés et la diversité culturelle de l’humanité. Par ailleurs, plus de 1 million d’espèces sont menacées d’extinction. La biodiversité et la nature contribuent non seulement à notre patrimoine commun mais constituent également le plus important filet de sécurité vital de l’humanité.
Alors que des mesures importantes ont été prises ces dernières années pour mieux aligner les actions en faveur du patrimoine culturel et du climat, les États membres demandent davantage de soutien. Par exemple, la déclaration historique des ministres de la Culture du G20 marque une plus grande volonté politique en reconnaissant explicitement que « la culture, y compris le patrimoine culturel immatériel et tangible, la créativité, les langues des peuples autochtones et des communautés locales, les systèmes de sagesse et de connaissance et les métiers et matériaux traditionnels, en particulier ceux utilisés par les femmes autochtones et locales, offrent un grand potentiel pour stimuler l’action en faveur du climat et le développement durable, et contribuent de manière significative aux solutions climatiques ». La mise à jour par l’UNESCO de son est une nouvelle étape pour renforcer les cadres politiques, tout comme le Mécanisme flexible de lutte contre les impacts du changement climatique sur le patrimoine culturel et naturel, établi à l’initiative de la Grèce, avec l’UNESCO et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Pourtant, le rôle que le patrimoine culturel peut jouer dans la lutte contre le changement climatique est souvent sous-évalué et a été identifié comme un moyen pour l’UNESCO d’approfondir davantage l’engagement et d’accompagner les États membres dans l’adaptation des politiques culturelles dans les années à venir. Premièrement, de nombreux sites du patrimoine naturel, sur terre ou en mer, sont des écosystèmes riches qui jouent le rôle de puits de carbone. Les sites classés par l’UNESCO, y compris les réserves de biosphère de l’UNESCO, les géoparcs mondiaux et les propriétés du patrimoine mondial, protègent environ 10 millions de kilomètres carrés de patrimoine culturel et de biodiversité dans le monde — l’équivalent de la taille de la Chine. Deuxièmement, les sites du patrimoine mondial peuvent également servir de laboratoires d’apprentissage pour l’étude et l’atténuation des impacts climatiques, en étant des lieux pour tester des stratégies de gestion résilientes, que ce soit dans les sites du patrimoine mondial naturel, les sites du patrimoine mondial marin ou les villes du patrimoine mondial. Troisièmement, le statut emblématique des sites du patrimoine mondial peut attirer l’attention sur la question du changement climatique, en particulier ceux dont l’expérience des effets néfastes est déjà bien médiatisée.
Le patrimoine culturel immatériel, sous forme de savoirs traditionnels, est une source particulièrement vitale de solutions pour la résilience, comme l’ont souligné de nombreux participants aux Consultations régionales. Cela peut prendre la forme de techniques de construction vernaculaires adaptées aux conditions climatiques, de connaissances météorologiques et astronomiques ancestrales pour prévoir les schémas météorologiques, de stratégies traditionnelles de sécurité alimentaire, ou de stratégies de gestion de l’eau et des terres. Les connaissances locales et autochtones sont de plus en plus valorisées pour lutter contre la dégradation de l’environnement, par exemple en étant explicitement reconnues dans l’Accord de Paris de 2015 et la Convention sur la diversité biologique de 1992. Une grande partie de ces connaissances pour la résilience face au changement climatique et à la perte de biodiversité fait partie intégrante de quelque 7000 langues, dont plus de la moitié sont des langues autochtones. Pourtant beaucoup de ces langues risquent de disparaître, ce qui signifie l’éradication de toute une vision du monde et de systèmes de connaissances. La Décennie internationale des langues autochtones, menée par l’ONU, est une occasion vitale de préserver ces connaissances et de renforcer les liens entre diversité biologique et diversité culturelle.
MESSAGE CLÉ : La valorisation des systèmes de connaissances locaux et autochtones sur un pied d’égalité est essentielle dans la lutte contre le changement climatique, comme l’indiquent les consultations régionales de MONDIACULT 2022
Nous invitons tout le monde ici à nous aider à protéger la culture, les expressions culturelles et le patrimoine des effets néfastes du changement climatique, à favoriser un développement durable résilient au changement climatique et à reconnaître l'équité et la justice comme faisant partie des politiques culturelles à venir.
Le patrimoine culturel immatériel... a un lien fort avec les règles et les individus de la communauté ainsi qu'avec l'environnement local. De par sa nature vivante et inséparable des activités humaines, il joue un rôle prépondérant dans la promotion du développement durable de nos communautés.
PERSPECTIVE : avantages socio-économiques pour les communautés
Centre régional arabe pour le patrimoine mondial, Centre de catégorie II de l'UNESCO
Des défis sans précédent pour le patrimoine culturel dans la région arabe sont apparus au cours des 10 dernières années, ce qui a conduit toutes les parties prenantes à réévaluer les politiques actuelles pour s’assurer que nous sommes bien parés pour affronter l’avenir avec des mécanismes plus résilients et durables en place. L’une des deux priorités thématiques transversales du plan d’action 2021-2027 pour le patrimoine mondial de la région est de « renforcer la participation et l’engagement de toutes les parties prenantes, en particulier les communautés locales, en promouvant l’éducation et la sensibilisation ».
Des initiatives récentes ont souligné l’importance d’utiliser une approche participative centrée sur les personnes en vue de former une stratégie globale plus large pour la protection, la reconstruction et la réhabilitation des sites. En intégrant des approches de consolidation de la paix pour assurer la durabilité et la stabilité dans les situations post-conflit, les souvenirs et les valeurs associés au patrimoine peuvent être exploités en qualité de fondements de la paix et de facilitateurs de réconciliation.
À l’occasion de son 10e anniversaire, le Centre régional arabe pour le patrimoine mondial se tourne vers la prochaine décennie et donne la priorité au soutien du développement socio-économique et de la conservation des sites du patrimoine mondial. Par ailleurs, l’intégration du tourisme durable constituera un catalyseur important, avec des approches de cogestion pour assurer la réussite de la mise en œuvre, la protection et la durabilité des plans futurs, ainsi que pour encourager l’émergence d’initiatives locales à travers l’implication directe et le partage des avantages avec les communautés locales, de sorte à mieux contribuer à la protection de leur patrimoine.
PERSPECTIVE: Restitution du patrimoine culturel
Professeure Ana Filipa Vrdoljak,
Chaire UNESCO en droit international et patrimoine culturel
Le fait d’enlever des objets culturels d’un endroit et de les rendre a façonné les rapports humains depuis l'Antiquité. Depuis la création des Nations unies, les nouveaux États indépendants ont constamment appelé à la restitution du patrimoine culturel retiré pendant une occupation étrangère. La restitution était considérée comme faisant partie intégrante de la décolonisation, du nouvel ordre économique international et du droit au développement. Les revendications des peuples autochtones en faveur de la restitution de la culture (terres et sites, dépouilles ancestrales, biens culturels, connaissances et langues) imprègnent tous les aspects de la Déclaration de 2007 des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette Déclaration s'appuie sur le mouvement des droits civiques et sur les droits de l'homme pour faire part des réponses des autochtones à l'occupation étrangère en cours. Plus récente, la résolution 2347 du Conseil de sécurité de l'ONU de 2017 (la première consacrée au patrimoine culturel) reconnaît la menace que représentent la perte et la dislocation culturelles pour la paix et la sécurité internationales, et admet l’importance fondamentale d'une coopération internationale efficace pour faciliter la restitution et prendre en charge ses effets. Le fil rouge de ces demandes de restitution est que le droit des peuples à l’autodétermination et au développement économique, social et culturel doit englober la culture et le patrimoine culturel.
Les appels lancés pour que les demandes de restitution soient traitées et les pertes culturelles en cours enrayées ont suscité de nombreuses réactions. La Convention de l'UNESCO de 1970 vise à encourager la coopération internationale entre les États pour réguler le commerce des biens culturels et faciliter les demandes de restitution, tandis que la Convention d’UNIDROIT de 1995 vise à harmoniser les règles de droit international privé traitant des demandes de restitution des États et des acteurs non étatiques. Des initiatives semblables émanant d’organisations régionales existent également, tandis que des efforts multilatéraux conduits à travers le régime de sanctions du Conseil de sécurité, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et la Cour pénale internationale accentuent la coopération internationale en matière de responsabilité pénale pour les pertes culturelles dues au commerce illicite de biens culturels. Mais ces traités n'ont pas d'effet rétroactif. Suite à l’appel en 1978 du Secrétaire général de l’UNESCO de l’époque, le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels (PRBC) a été créé pour faciliter les revendications dites « historiques » de restitution des biens culturels. En réponse au plaidoyer des peuples autochtones, l'Assemblée générale a approuvé la mise en place de « mécanismes équitables, transparents et efficaces pour avoir accès à des objets cérémoniels et des dépouilles ancestrales et les rapatrier ». Au cours du dernier demi-siècle, les réponses multilatérales à l'impact négatif persistant de la perte culturelle sur les peuples ont dépassé la réglementation du marché du commerce des biens culturels pour adopter, vis-à -vis des demandes de restitution, une approche fondée sur les droits de l'homme afin d’apporter des solutions efficaces en liaison avec les cultures vivantes.
Les demandes de restitution du patrimoine culturel, émises par les nouveaux États indépendants comme par les peuples autochtones, en passant par les victimes de conflits armés, d'occupations belligérantes ou de catastrophes, insistent sur le fait qu'il ne s'agit pas simplement de la restitution d'un objet culturel mais d'un processus de redéfinition des relations entre les peuples, dans et entre les pays et les générations. Ce changement se reflète dans le débat controversé au sein du Conseil international des musées sur la définition et la fonction des musées et des institutions de collecte, dans la réforme constitutionnelle en cours de négociation dans plusieurs États, et dans l'élan croissant au niveau régional et multilatéral pour disposer de mécanismes visant à faciliter la restitution internationale des biens culturels emportés pendant la colonisation, des dépouilles ancestrales autochtones et des objets sacrés. Il est important de rappeler que ces réponses et mécanismes doivent respecter le droit à l'autodétermination et être développés et fonctionner avec la participation effective et le libre consentement préalable des victimes de pertes culturelles graves, passées et présentes.
Notre patrimoine culturel est éparpillé dans le monde entier, la plupart ayant été volé à notre continent pendant la période sombre du colonialisme. Il nous appartient, en tant que collectif, de travailler ensemble pour le rapatriement sur le continent de nos ressources culturelles.
D’autres participants ont appelé à l’élaboration et à la mise en œuvre de cadres politiques et juridiques qui renforcent les droits des peuples et des communautés à leur identité culturelle, notamment par le biais d’une consultation et d’une participation éclairées, tout en respectant le pluralisme culturel. L’amélioration et le renforcement de ces droits, tout en maintenant leur continuité historique dans le temps, ont été mis en lumière comme un moyen pour les communautés de s’appuyer sur la mémoire et l’héritage du passé, en tant qu’enregistrement de l’expérience et des aspirations humaines, pour relever les défis contemporains et façonner un avenir durable, qui ne laisse personne de côté. L’accès aux ressources du patrimoine culturel est une pierre angulaire des plans de développement de certains pays, non seulement par la réaffirmation de leur identité mais aussi en tant que base économique pour des emplois décents de populations jeunes et en plein essor.
Nous devons soutenir le principe selon lequel les minorités culturelles aspirent à plus que le droit de leurs membres à l'égalité et à la participation, car elles aspirent à la survie même de leur groupe et exigent la protection de leurs attributs culturels distincts, de leur langue, de leur patrimoine et de leurs coutumes.
PERSPECTIVE : Patrimoine culturel et droits humains
Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme (HCDH)
« Parler de patrimoine culturel dans le contexte des droits de l’homme, c’est tenir compte des patrimoines multiples par lesquels les personnes et les communautés expriment leur humanité, donnent un sens à leur existence, construisent leur vision du monde et représentent leur rapport avec les forces extérieures qui influent sur leur vie. Le patrimoine culturel doit être appréhendé comme l’ensemble des ressources qui rendent possibles les processus d’identification et de développement culturels des personnes et des communautés et que ces dernières, de façon implicite ou explicite, veulent transmettre aux générations suivantes […] Le droit d’accéder au patrimoine culturel et aux bénéfices qui en découlent comprend le droit des individus et des communautés de, notamment, connaître, comprendre, découvrir et voir le patrimoine culturel, d’en faire usage, de le préserver, de le mettre en commun et de le développer, ainsi que celui de bénéficier du patrimoine culturel et des créations d’autrui. Il comprend également le droit de prendre part au recensement, à l’interprétation et au développement du patrimoine historique, ainsi qu’à la conception et à la mise en œuvre de politiques et de programmes de préservation et de sauvegarde. »
MESSAGE CLÉ: Les participants ont identifié la nécessité de promouvoir le rôle de la culture dans la mise en œuvre d’une approche fondée sur les droits humains dans l’ensemble des politiques publiques qui soutiennent la culture en tant que bien commun, dans tous les domaines culturels, pour lutter contre les inégalités sociales, soutenir l’accès inclusif à la culture et la participation à la vie culturelle.
Le patrimoine culturel : vers un bien public mondial
L’architecture normative de l’UNESCO dans le domaine de la culture, composée de ses conventions, recommandations et déclarations internationales — ainsi que d’autres instruments normatifs pertinents des agences sœurs des Nations Unies et des organisations régionales — représente une formidable boîte à outils pour développer des politiques publiques plus durables et inclusives pour la justice sociale, la paix, la prospérité et la protection de l’environnement. Depuis près de 70 ans, ces instruments évoluent, notamment à travers un mouvement qui a commencé à émerger à la suite de MONDIACULT 1982 pour mettre davantage l’accent sur les personnes, et non plus seulement les monuments, les fonctions, et non plus seulement les objets, et la préservation du patrimoine, mais aussi son utilisation et son développement durables, tout en informant mieux la relation entre l’homme et la planète. Dans le même temps, nous avons assisté à l’évolution vers une plus grande sensibilisation et mobilisation des individus et des communautés autour du patrimoine culturel en tant que témoignage de l’identité culturelle, affirmant également le rôle croissant d’une multiplicité d’acteurs — organisations intergouvernementales, ONG et société civile — dans la contribution de leurs connaissances et leurs efforts pour faire progresser la protection, la préservation et la sauvegarde. De même, le patrimoine culturel étant une source majeure de résilience humaine, sociale, économique et environnementale pour les communautés,
Les États membres signalent des liens plus systémiques entre le patrimoine culturel et d’autres domaines politiques, notamment l’éducation, l’action climatique, la réduction des risques de catastrophes, le tourisme, l’emploi, l’urbanisme, la prévention des conflits et la réconciliation, même si ces liens nécessitent une plus grande consolidation. À ce titre, la culture doit être pleinement considérée comme un bien public mondial, et le patrimoine culturel doit faire partie intégrante des biens communs mondiaux en tant que ressource et force positive de transformation, dans l’esprit du rapport du Secrétaire général des Nations Unies « Notre programme commun ». Les Conventions culturelles abordent directement les questions intrinsèquement liées aux droits humains fondamentaux, qu’il s’agisse du droit des communautés ancestrales à vivre dans des sites du patrimoine mondial et à pratiquer leurs traditions, des droits des communautés à accéder à leur passé et à le transmettre aux générations futures, de l’appropriation illicite du patrimoine culturel immatériel des communautés (en particulier celui des peuples autochtones) ou du retour des objets culturels dans leur pays d’origine. Ces derniers points constituent des revendications des peuples et des individus pour une plus grande justice sociale au niveau local et mondial.
Pour l’avenir, la trajectoire des modèles de politiques du patrimoine culturel centrés sur la population préfigure une nouvelle expansion des droits culturels, en particulier pour les communautés marginalisées. À cette fin, une réflexion globale sur les droits culturels (individuels et collectifs) est nécessaire pour réexaminer les Conventions culturelles de l’UNESCO, concevoir de nouveaux mécanismes si nécessaire et créer de plus grandes synergies pour la protection et la sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel contre des menaces sans précédent, de l’insécurité aux catastrophes, et des algorithmes biaisés à un manque de transmission intergénérationnelle. Cette réflexion devrait conduire à renforcer les alliances vers les modèles de gouvernance et les politiques publiques, en affermissant l’engagement de la société civile, des organisations intergouvernementales, des banques de développement, des acteurs du secteur privé et, surtout, des communautés elles-mêmes, sur la base d’un engagement sans faille en faveur des droits humains et des libertés fondamentales.