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À l’horizon

Culture : une ressource renouvelable par excellence pour lutter contre le changement climatique
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Le temps presse pour enrayer l’impact dévastateur du changement climatique. Selon l’Organisation météorologique mondiale, 2020 sera l’une des trois années les plus chaudes depuis le début des relevés des températures. Les océans continuent de se réchauffer et le niveau de la mer de s’élever, ce qui constitue une menace particulière pour les établissements côtiers et les petits États insulaires en développement (PEID). La fréquence et la gravité des catastrophes, tels que les sécheresses, les inondations et les cyclones, sont croissantes et peuvent entraîner une pénurie de nourriture et d’eau. L’impact sociétal est particulièrement aigu avec l’émergence de conflits potentiels, de bouleversements économiques, de migrations répétées et la disparition entière de modes de vie de nombreuses communautés.
L’année 2020 devait être une année « charnière », marquant le cinquième anniversaire de l’adoption de l’Accord de Paris, par lequel 195 pays et l’Union européenne ont convenu de limiter les émissions de gaz à effet de serre et de maintenir l’augmentation de la température mondiale à moins de 1,5°. La pandémie de COVID-19 a entraîné le report de la 26e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – COP 26 – (qui devrait avoir lieu en novembre 2021 au Royaume-Uni), et de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité COP 15 (qui devrait se tenir en mai 2021 en Chine). Néanmoins, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a appelé à une « action audacieuse en faveur du climat », lors du sommet des Nations Unies sur l’action climatique en septembre. En outre, son rapport fait référence, pour la toute première fois, aux effets du changement climatique sur le patrimoine culturel sous toutes ses formes (du patrimoine bâti au patrimoine naturel et au patrimoine vivant). Il confie à l’UNESCO le rôle de chef de file pour mener des recherches, des analyses et des actions visant à sensibiliser les États membres et à les mobiliser pour intensifier les efforts de protection et de conservation, ainsi que les mesures concertées d’atténuation et d’adaptation.
Le changement climatique relève d’une question complexe, à la croisée de la science, de l’éthique, de la société, de l’éducation et, bien sûr, de la culture – une dimension trop longtemps sous-estimée. Si le changement climatique a un impact profond sur la culture – destruction du patrimoine, perturbation des moyens de subsistance des artistes et dévastation potentielle des modes de vie traditionnels – celle-ci peut également apporter des enseignements inestimables aux stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Tant l’atténuation – réduire ou prévenir les effets du changement climatique – que l’adaptation – s’adapter à ses conséquences désormais inévitables – sont les piliers essentiels de la politique climatique à l’échelle mondiale. L’UNESCO, en tant que seule agence des Nations Unies disposant d’un mandat interdisciplinaire reliant la culture, les sciences et l’éducation, est particulièrement bien placée pour faire valoir le pouvoir transformateur de la culture.
L’UNESCO a ainsi intensifié ses efforts en s’appuyant notamment sur sa stratégie globale pour l’action climatique 2018-2021. L’Organisation a par ailleurs récemment mis en place un groupe de réflexion sur la culture et le changement climatique, réunissant des experts du monde universitaire, des organisations internationales et de la société civile, dans la perspective d’explorer des moyens concrets de renforcer le rôle du patrimoine culturel et naturel, du patrimoine culturel immatériel et de l’économie créative, dans la lutte contre le changement climatique. Plus largement, la sphère culturelle est également un espace de dialogue, englobant diverses visions du monde et valeurs culturelles. La culture entraîne des changements sociétaux à travers les musées, centres culturels, villes, écoles et communautés traditionnelles. Raison pour laquelle l’UNESCO redouble également d’efforts dans ces domaines. Compte tenu de l’urgence de la crise climatique, il n’a jamais été aussi important de déployer la culture comme une ressource essentielle.
Les dés sont pipés : le changement climatique désempare la culture
Depuis plusieurs années, nous réalisons le constat croissant que le changement climatique met progressivement la culture en péril. Plusieurs sites du patrimoine mondial – des rizières en terrasses des cordillères des Philippines aux îles Galápagos en Équateur, des monuments néolithiques des îles Orcades au Royaume-Uni à la forêt des Cèdres de Dieu (Horsh Arz el-Rab) au Liban – portent déjà les séquelles de l’évolution des conditions climatiques. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a également défini le changement climatique comme la plus grande menace pour les biens du patrimoine mondial naturel dans son 3e rapport « Perspectives du patrimoine mondial » récemment publié. Celui-ci souligne qu’un tiers des 252 sites du patrimoine mondial naturel sont menacés par le changement climatique. Les changements climatiques exercent également une forte pression sur le patrimoine naturel. En 2018, une série d’incendies a détruit plus de 80 000 hectares de forêts et de prairies dans le parc national du Mont Kenya, soit près de la moitié de la superficie de ce site du patrimoine mondial de l’UNESCO. De nombreux sites marins du patrimoine mondial sont des récifs coralliens tropicaux dont l’exposition aux phénomènes de blanchiment ne cesse d’augmenter, à tel point que les experts avertissent que les récifs coralliens risquent de disparaître d’ici à 2100 si les émissions de CO2 ne sont pas réduites de manière drastique. L’augmentation de la température et de l’acidification des océans constitue également une menace pour la biodiversité marine, ainsi que pour les sites du patrimoine culturel subaquatique.
Les sites culturels du patrimoine mondial sont également exposés à cette menace, car de nombreux bâtiments et sites anciens ont été conçus pour un climat local spécifique. Environ 130 sites, comme les grottes d’Elephanta en Inde, sont menacés par l’élévation du niveau marin, et les changements survenus dans la mer Adriatique ont déjà endommagé des centaines de bâtiments à Venise, en Italie. Les bâtiments et monuments historiques sont vulnérables aux dommages liés au climat en raison des épisodes de vents et de pluies extrêmes, tandis que les fondations des bâtiments peuvent être sapées et les fluctuations climatiques à l’intérieur des bâtiments peuvent provoquer moisissures, détériorations et infestations d’insectes. Les changements de température et les interactions avec l’eau sont particulièrement importants pour l’architecture en terre. De nombreux sites de ce type – la mosquée de Djenné au Mali n’en est qu’un exemple – sont menacés par le changement climatique. En outre, les conditions de conservation des preuves archéologiques peuvent être dégradées en raison de l’augmentation de la température du sol. Depuis 2010, le Comité du patrimoine mondial a examiné au moins 170 rapports sur l’état de conservation de 41 biens du patrimoine mondial dans 33 pays afin de surveiller spécifiquement l’impact du changement climatique sur la valeur universelle exceptionnelle de ces sites dans le cadre du processus statutaire de suivi réactif.
Le changement climatique bouleverse également les aspects socioculturels de nos sociétés. De nombreuses communautés à travers le monde ont été contraintes de changer leurs modes de vie, de travail, de culte et de socialisation, que ce soit dans les petits villages traditionnels ou dans les grandes mégapoles de plus de 20 millions d’habitants. Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) comptent parmi les plus vulnérables et sont souvent les plus directement exposés aux conséquences du changement climatique. Les ravages causés par les cyclones et les ouragans ces dernières années dans les PEID des Caraïbes et du Pacifique sont particulièrement emblématiques des phénomènes météorologiques extrêmes qui menacent les modes de vie traditionnels des communautés. Ce ne sont pas seulement les connaissances traditionnelles de ces sociétés, développées au fil des siècles par l’interaction avec leur environnement naturel, qui sont menacées. L’ensemble des aspects de leur patrimoine culturel immatériel – valeurs, traditions orales, arts du spectacle, pratiques sociales et événements festifs – sont en péril. L’affaiblissement de la capacité des communautés à tirer parti de leurs ressources culturelles pour lutter contre le changement climatique et ainsi à s’adapter à ses conséquences pourrait mener à leur disparition, qui serait une perte pour l’humanité tout entière. Dans des cas extrêmes, des communautés entières pourraient être contraintes d’émigrer en abandonnant leur patrimoine culturel, tant bâti que vivant.

L’impact du changement climatique sur la culture porte également un coût économique. À titre d’exemple, suite au cyclone tropical qui a frappé Vanuatu en 2015, les coûts nécessaires à la réhabilitation du secteur culturel ont été estimés à 1,4 million de dollars des États-Unis. Cela comprenait la reconstruction des bibliothèques, des centres artistiques, des bâtiments historiques et des églises de Port Vila, ainsi que du Domaine du Roi Mata – un site du patrimoine mondial. Le changement climatique menace également la diversité des expressions culturelles et des industries culturelles et créatives, la perte d’opportunités économiques nuisant aux moyens de subsistance des artistes et des professionnels de la culture. On estime notamment à 2,3 millions de dollars des États-Unis le coût de l’annulation du Festival mondial de musique créole de la Dominique en 2017 à la suite d’un ouragan. De nombreux pays, dont les PEID, dépendent du tourisme culturel, une clef de voûte de leur économie. À l’échelle mondiale, le tourisme côtier est la composante la plus importante du secteur, qui sera fortement touché par la montée du niveau marin, les inondations côtières, l’érosion des plages et l’aggravation des ondes de tempête. Comme l’indique une publication de l’UNESCO de 2016, copubliée avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Union des scientifiques préoccupés (Union of Concerned Scientists, en anglais), intitulée « n », une élévation d’un mètre du niveau de la mer serait susceptible d’inonder jusqu’à 60 % des propriétés touristiques de la région des Caraïbes.

Outre l’impact direct du changement climatique, les sites du patrimoine culturel et naturel pourraient aussi, paradoxalement, être touchés par des projets d’infrastructure de grande envergure destinés à favoriser la transition écologique. Les infrastructures d’énergie verte telles que les barrages ou les centrales éoliennes, en particulier, peuvent avoir un impact sur l’authenticité ou l’intégrité des sites du patrimoine mondial, notamment les paysages culturels ou naturels, mettant ainsi en péril leur valeur universelle exceptionnelle. L’accélération actuelle des investissements publics en faveur des infrastructures vertes risque d’exacerber ces cas, ce qui nécessite des approches globales pour faire face à des compromis complexes, impliquant des priorités concurrentes.

La culture : une source inexploitée dans les efforts d’atténuation

La culture n’est cependant pas une victime passive des conséquences du changement climatique. Elle constitue une mine immense de potentiels inexploités dans les efforts pour en atténuer l’impact et s’adapter dans son sillage. À titre d’exemple, les sites naturels du patrimoine mondial constituent des écosystèmes terrestres et marins qui agissent comme des « puits de carbone » permettant d’extraire les émissions de gaz à effet de serre. Les sites désignés par l’UNESCO, notamment les réserves de biosphère, les géoparcs mondiaux et les biens du patrimoine mondial, protègent environ 10 millions de kilomètres carrés de patrimoine culturel et de biodiversité dans le monde, soit l’équivalent de la taille de la Chine. De nombreux sites du patrimoine naturel, tels que le , la plus grande zone protégée du bassin amazonien, remplissent cette fonction essentielle. Une a révélé qu’environ 5,7 milliards de tonnes de carbone de la biomasse forestière sont stockées dans les sites naturels du patrimoine mondial, rien que dans les régions pantropicales du monde. Des forêts et des habitats côtiers bien préservés peuvent ainsi contribuer à fournir des services écosystémiques vitaux, notamment une protection naturelle contre les tempêtes et les inondations.

Les sites du patrimoine mondial peuvent également servir de laboratoires d’apprentissage pour l’étude et l’atténuation des impacts climatiques, où l’on peut tester des stratégies de gestion résilientes. Par exemple, en 2017, l’UNESCO a publié . En 2018, l'UNESCO a lancé une initiative dont l’ambition a été d’établir une stratégie efficace de résilience au climat dans cinq récifs coralliens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO : le lagon sud des Rock Islands (Palau), les lagons de Nouvelle-Calédonie (France), le système de réserve de la barrière de corail du Belize (Belize), la côte de Ningaloo et la grande barrière de corail (Australie). Les sites culturels du patrimoine mondial, en particulier les villes du patrimoine mondial, peuvent également servir d’observatoires du changement climatique et de laboratoires pour l’adaptation au climat, en expérimentant des solutions durables et à faible émission de carbone à des problèmes tels que le logement, le transport ou la conservation urbaine. Les médinas, par exemple – des établissements denses, piétonniers et à usage mixte propres aux villes du monde arabe, comme la ville du patrimoine mondial de Fès au Maroc – peuvent fournir des enseignements pour la durabilité environnementale des villes. De même, les pratiques professionnelles locales qui utilisent des techniques et des matériaux locaux pour la conservation et la régénération urbaine sont également propices à la transition écologique.

Si les villes du patrimoine mondial peuvent apporter des enseignements vernaculaires pour encourager l’utilisation durable des ressources naturelles, les villes sont également à la pointe de l’innovation et de la créativité dans la transition vers des modes de production et de consommation plus responsables. Les villes sont responsables de . Pour lutter contre cette tendance, le Réseau des villes créatives de l’UNESCO, qui comprend 246 villes, montre comment les villes peuvent adopter des pratiques plus durables ou susciter le débat public sur le changement climatique. À titre d’exemple, la Ville créative de Chengdu, en Chine (gastronomie), a œuvré pour remplacer le charbon par un combustible propre dans 4 000 de ses restaurants. Aux États-Unis, Austin (arts numériques) et Paducah (artisanat et arts populaires) explorent des solutions créatives pour recycler et revaloriser les déchets. En Australie, Melbourne (littérature) encourage les communautés à saisir les tenants et aboutissants du défi du changement climatique à travers la littérature et l’écriture. Enfin, Séoul, en République de Corée (design), dont l’ambition est de devenir une ville sans déchets d’ici à 2030, a ouvert le plus grand complexe culturel au monde dédié au recyclage en 2017.

Le secteur de la création s’efforce également de repenser les processus de production et de réduire son empreinte carbone. L’impression de livres exerce un impact important sur les forêts, tandis que les festivals de cinéma et de musique sont souvent énergivores. L’utilisation croissante des technologies numériques par les artistes entraîne une forte consommation d’énergie ainsi que des déchets électroniques. Le rapport de 2018 de l’UNESCO «  » souligne que si la sensibilisation aux questions d’environnement et de durabilité a augmenté parmi les États membres, cela ne s’est pas toujours traduit par des politiques culturelles plus soucieuses du changement climatique. Le rapport cite toutefois plusieurs bonnes pratiques tels que la stratégie environnementale culturelle globale de la Finlande et le festival de musique Rocking the Daisies en Afrique du Sud. Ce dernier est parvenu à réduire de 80 % son empreinte carbone grâce à l’utilisation de générateurs fonctionnant au biodiesel et à l’élimination des eaux grises nocives et au recyclage des déchets.

Préparer l'avenir : la culture de l'adaptation

Préparer l'avenir : la culture de l'adaptationLes effets du changement climatique se font déjà ressentir dans le monde entier et la culture peut apporter des réponses pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Le patrimoine vivant, sous la forme de connaissances locales et autochtones, est également une source vitale de résilience, notamment sous la forme de stratégies traditionnelles de sécurité alimentaire ou de techniques de gestion de l’eau et des terres. À titre d’exemple, le peuple Kalasha des chaînes de montagnes de l’Hindu Kush au Pakistan fait usage d’un système ancestral de connaissances météorologiques et astronomiques appelé « Suri Jagek », permettant de prévoir les conditions météorologiques, de planifier les récoltes et d’élever le bétail. Cette pratique, inscrite sur , et d’autres pratiques de ce type peuvent aider les communautés à réagir collectivement à ces régimes climatiques de plus en plus instables et à assurer la continuité de leur mode de vie. Dans la même veine, à la suite du cyclone tropical Pam qui a dévasté l’île de Vanuatu dans le Pacifique en 2015, il a été fait le constat que construits avec des matériaux et des techniques modernes subissaient des dommages plus importants que les nakamals construits avec des matériaux locaux et des techniques de construction traditionnelles. Ce savoir-faire est ainsi susceptible de guider la planification locale afin de rendre les communautés plus résistantes.

L’Accord de Paris reconnaît que l’action sur le climat doit « être fondée sur et guidée par [...] les connaissances traditionnelles, les connaissances des peuples autochtones et les systèmes de connaissances locaux ». C’est précisément dans cet esprit que a été créée dans le cadre du processus de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques afin de renforcer le renforcement des capacités et le partage des connaissances. Le programme de l’UNESCO sur soutient également l’inclusion des savoirs locaux et autochtones dans les processus scientifiques et politiques sur le climat, du niveau local au niveau international. Le programme LINKS veille à ce que les détenteurs de savoirs locaux et autochtones et leurs connaissances soient inclus dans les forums contemporains science-politique-société sur des questions telles que la biodiversité, le changement climatique, la préparation aux catastrophes naturelles et le développement durable. Le renforcement des liens entre les connaissances scientifiques et techniques et les systèmes de connaissances locaux multiplie les possibilités de trouver des solutions solides à la crise climatique. Le déploiement des de l’UNESCO fournira également une base de données sur le sujet, grâce notamment à l’indicateur portant sur « l’adaptation et la résilience au climat », destiné à évaluer aux niveaux national ou local les mesures prises pour favoriser l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à celui-ci.

À la lumière du rôle vital des divers systèmes de connaissances, l’UNESCO ne cesse d’alerter sur l’érosion de la diversité culturelle, intrinsèquement liée à la biodiversité. Le changement climatique accélère cette perte. souligne clairement le lien entre la culture et la nature, en insistant sur le fait que « la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire que l’est la biodiversité dans l’ordre du vivant ». La diversité linguistique est particulièrement importante. On estime que 5000 des 7000 langues du monde sont des langues autochtones, dont de nombreuses figurent dans . On estime qu’. Lorsqu’une langue disparaît, c’est la perte de toute une vision du monde, de l’ensemble d’un système de connaissances, de pratiques et de savoir-faire.

Le secteur de la culture lui-même doit s’adapter et l’UNESCO renforce également son soutien à la résistance de la culture au changement climatique par le biais de programmes de renforcement des capacités. En mai 2014, l’UNESCO a publié à l’intention des gestionnaires de sites afin de soutenir des pratiques et des stratégies d’adaptation plus durables. L’UNESCO apporte également un soutien direct aux communautés pour la sauvegarde de leur patrimoine vivant, notamment par le biais de l’aide internationale apportée à la communauté pastorale Samburu du nord du Kenya, qui subit une série de pressions due à l’évolution rapide de l’environnement de la réserve de biosphère où elle vit. En 2018, l’UNESCO a lancé un ambitieux projet transversal dans le bassin du lac Tchad – en partenariat avec la Commission du bassin du lac Tchad et la Banque africaine de développement – dont l’ambition est de sauvegarder et valoriser les ressources naturelles et culturelles afin de réduire la pauvreté et de promouvoir la paix. Suite à la baisse des précipitations et du niveau des eaux du lac Tchad, la région a été en proie à des conflits et à l’insécurité. L’un des objectifs du projet est de fournir un soutien aux pays limitrophes que sont le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine, le Niger et le Nigeria, pour préparer le dépôt d’un dossier de candidature du lac au patrimoine mondial. Cela implique la mise à jour et l’amélioration des connaissances sur les ressources naturelles du lac Tchad, et le renforcement des capacités de gestion et de protection de ces ressources.

L’élaboration de stratégies de pour le patrimoine culturel et le soutien de la culture dans les situations d’urgence sont également de plus en plus prédominants dans les travaux de l’UNESCO. L’UNESCO s’est fortement engagée dans le cadre de , et a contribué à la publication de 2010 sur la . Les conventions de l’UNESCO sur la culture en relation avec le patrimoine mondial et le patrimoine culturel immatériel renforcent également les mécanismes dont l’objectif est de garantir que les stratégies d’adaptation sont adéquates. Au niveau régional, en particulier dans les Caraïbes et le Pacifique, les Bureaux hors Siège de l’UNESCO sont très engagés dans les efforts de planification des catastrophes, ce qui montre une reconnaissance importante de l’importance de la culture pour les communautés en temps de crise. Lorsque des catastrophes se produisent – tels que des tremblements de terre, des incendies et des événements climatiques extrêmes – l’UNESCO possède la capacité de travailler en étroite collaboration avec les Équipes pays des Nations Unies pour effectuer afin d’évaluer les dommages et les besoins. Cette méthodologie a été déployée, par exemple, pour évaluer les dégâts à la suite du cyclone tropical Gita qui a frappé le Royaume de Tonga en 2018 et a causé des dommages à plusieurs bâtiments historiques et sites du patrimoine culturel, y compris ceux qui figurent sur la liste indicative du patrimoine mondial, et a été financée par le Fonds d’urgence pour le patrimoine de l’UNESCO.

Changement de paradigme : la culture, une rose des vents

La lutte contre le changement climatique est une question fondamentalement éthique. Les réponses au changement climatique qui ne tiennent pas compte de l’éthique peuvent porter atteinte à des communautés entières, créer de nouveaux paradigmes d’inégalité et de distribution inégale, et exacerber la vulnérabilité de communautés qui se sont retrouvées déracinées à cause de catastrophes et de conflits liés au changement climatique. Le changement climatique nécessite une approche fondée sur les valeurs, une approche qui s’enracine dans l’équité, la justice et la solidarité. En 2017, les États membres de l’UNESCO ont adopté une et continuent de plaider en faveur d’une approche fondée sur des valeurs, sous le slogan « Changer les esprits, pas le climat ». L’éducation y est essentielle et les Objectifs de développement durable (cible 4.7 de l’ODD 4 sur l’éducation de qualité) mentionnent explicitement la nécessité de doter les apprenants des connaissances et des compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, y compris la contribution de la culture. Le programme de l’UNESCO pour (EDD) se concentre sur les questions de développement durable, telles que le changement climatique et la biodiversité, en encourageant à la résolution des problèmes, au respect de la diversité culturelle et à la création d’un monde plus durable.

Les musées, les institutions culturelles et les centres d’interprétation des sites du patrimoine peuvent être des acteurs clés pour sensibiliser et promouvoir le dialogue autour de l’action climatique. Ils peuvent notamment illustrer la manière dont les expériences humaines passées en matière de changement climatique peuvent éclairer nos réponses au changement climatique actuel, y compris les sites archéologiques sous-marins des civilisations passées qui ont déjà succombé aux changements climatiques naturels antérieurs. Les sites du patrimoine mondial peuvent stimuler une sensibilisation accrue à travers des exemples concrets de l’impact du changement climatique et des réponses apportées. Par exemple, le site du patrimoine mondial du fjord glaciaire d’Ilulissat au Groenland (Danemark) est l’un des glaciers les plus impressionnants et à la fonte la plus rapide au monde. C’est un lieu où les visiteurs peuvent voir des paysages spectaculaires en première ligne du changement climatique mondial.

Les artistes jouent également un rôle particulièrement important dans la sensibilisation, qu’il s’agisse des artistes photographes documentant les merveilles du monde naturel, de films sur le changement climatique ou d’initiatives de théâtre pour les jeunes. À titre d’exemple, le Culture Fund of Zimbabwe Trust œuvre depuis 2012 autour d’un programme de collaboration dans le domaine des arts et de la durabilité environnementale dans un objectif de sensibiliser aux produits et aux productions illustrant les manières dont les arts et la culture peuvent aborder les problèmes environnementaux. La culture permet de façonner les messages autour du changement climatique et de les mettre en récit. Elle peut également soutenir les communautés à faire face à l’anxiété ou à la perte de leur culture en raison du changement climatique.

 

La culture ouvre des champs d’action

Malgré le rôle unique de la culture pour stimuler les efforts d’atténuation, d’adaptation et de changement de comportement dans la lutte contre le changement climatique, elle a jusqu’à présent été sous-utilisée. La culture n’est pas systématiquement intégrée dans (1992) ni dans l’Accord de Paris (2015), les deux principaux instruments qui guident l’élaboration des politiques internationales. L’une des principales actions urgentes identifiée par le nouveau groupe de réflexion de l’UNESCO sur la culture et le changement climatique, ainsi que par la récente initiative sur le patrimoine culturel et le changement climatique, est de travailler avec le Conseil international des musées et des sites (ICOMOS) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour assurer la pleine intégration de la culture dans l'agenda mondial sur le climat, notamment dans les rapports d’évaluation et les rapports spéciaux du GIEC, l’organe des Nations unies chargé d’évaluer les données scientifiques relatives au changement climatique. Le manque de données, de recherches et de publications évaluées par des pairs sur les liens entre la culture et le changement climatique reste un obstacle important, nécessitant un investissement important dans les ressources humaines et la recherche. Le développement de ce corps de recherche aiderait en outre les pays à intégrer la culture, en particulier la fonction des sites du patrimoine naturel comme puits d’émissions de gaz à effet de serre, en particulier dans leurs Contributions nationales déterminées (CND) à l’Accord de Paris, plans d’action nationaux juridiquement contraignants pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique. L’intégration de la culture dans les stratégies régionales, les documents politiques ou les mécanismes de dialogue renforcera également l’action en faveur du climat.

Les approches fondées sur la culture peuvent contribuer à déplacer l’accent des négociations sur le climat, des intérêts concurrents, vers les valeurs partagées et de bien commun. L’UNESCO s’impose progressivement sur la scène internationale pour promouvoir la culture au service de l’action climatique. En 2019, lors de la réunion PreCOP – une consultation publique mondiale invitant gouvernements et organisations de la société civile à échanger – l’UNESCO a organisé deux débats sur le rôle de la culture pour l’action climatique et pour des villes durables. Il s’agissait de la première fois que la culture a été intégrée dans le processus de la PreCOP. L’UNESCO a également participé à la COP25, lors d’un événement organisé par la Grèce au pavillon de l’Union européenne sur le thème « Les impacts du changement climatique sur le patrimoine culturel et naturel : le jour d’après », aux côtés de l’Organisation météorologique mondiale, du Réseau national de développement social et du Conseil international des musées et des sites (ICOMOS). En 2021, la culture sera incluse dans la réunion de la COP26, ainsi que dans le prochain G20 accueilli par l’Italie où le patrimoine et le changement climatique seront à l’honneur. En outre, l’UNESCO élabore actuellement un Comité de suivi avec le soutien de la CCNUCC et de la Grèce afin de poursuivre les actions de sensibilisation et de collaboration en faveur de la mise au point, le développement et la mise en œuvre de plans et programmes visant à atténuer les effets du changement climatique sur le patrimoine culturel et naturel. La Grèce s’apprête par ailleurs à lancer une nouvelle initiative, approuvée par l’UNESCO, pour faire face aux conséquences du changement climatique sur le patrimoine culturel et naturel, qui servira de mécanisme souple pour l’échange de connaissances entre le monde universitaire, les décideurs politiques, les partenaires institutionnels et la société civile à tous les niveaux; dont les premiers résultats seront exposés lors du prochain Comité du patrimoine mondial.

La culture est le pont entre les ambitions mondiales et les solutions adaptées au niveau local, aux niveaux régional, national et local. Au niveau national, le renforcement des synergies entre la culture et d’autres domaines politiques sera essentiel pour une action politique plus globale et plus efficace. Étant donné la nature fondamentalement éthique de la question du changement climatique, la culture peut renforcer les modèles de société centrés sur l’homme, des modèles durables sur le plan environnemental qui respectent les liens intrinsèques entre la diversité culturelle et biologique.

L’intégration de la culture dans les politiques environnementales, par exemple, peut intégrer les pratiques des communautés pour construire des solutions adaptées pour les stratégies d’atténuation et d’adaptation au climat. Le changement climatique remodèle actuellement l’ensemble du paysage politique. À ce titre, la culture peut également proposer des solutions pour divers domaines politiques liés, par exemple, à la planification urbaine, à la sécurité alimentaire, à la réduction de la pauvreté et aux nouveaux modes de consommation et de production responsables, y compris pour le tourisme. L’UNESCO plaide en particulier pour l’inclusion de la culture dans les systèmes éducatifs, non seulement pour nourrir les connaissances, les attitudes, les valeurs et les comportements permettant de donner à une nouvelle génération de citoyens du monde les moyens de faire face au changement climatique, mais aussi pour susciter la créativité et l’innovation nécessaires à un avenir incertain. Soutenir le leadership des jeunes en matière de changement climatique par une éducation fondée sur la culture trouve un écho et constitue un important catalyseur de l’engagement citoyen.

Enfin, les politiques culturelles elles-mêmes devraient également être revues et adaptées afin d’accélérer leur contribution à l’action en faveur du climat. Actuellement, elles abordent rarement la question du changement climatique de manière systématique, alors que ses conséquences touchent déjà le patrimoine culturel et naturel, le patrimoine vivant et le secteur créatif, même s’il existe plusieurs exemples de PEID des Caraïbes et du Pacifique qui intègrent des questions liées au climat et à la résilience. Il existe un potentiel de réduction de l’empreinte carbone des industries culturelles et créatives, les gestionnaires de sites du patrimoine mondial ont un rôle à jouer pour garantir que leurs sites sont gérés de manière durable et les acteurs du secteur du tourisme peuvent prendre des mesures pour que la culture puisse être appréciée en plus grande harmonie avec l’environnement naturel, ainsi qu’avec les communautés locales.

À ce titre, l’UNESCO continue de renforcer ses conseils stratégiques, en fournissant des outils conceptuels et opérationnels sur la culture et le changement climatique, notamment par le biais de ses conventions sur la culture. Elle est actuellement en train de mettre à jour son document d’orientation de 2007 sur afin de le rendre plus orienté vers l’action et de fournir des conseils concrets aux États membres. En outre, grâce à son réseau de bureaux extérieurs, elle aide également les pays à intégrer la résilience au climat dans leurs politiques culturelles.

L’action en faveur du climat est une question complexe et la culture joue un rôle fondamental dans les stratégies d’atténuation, d’adaptation et de changement de comportement. Elle sert également à ancrer le débat mondial sur le climat dans des valeurs communes. L’UNESCO montre déjà la voie pour faire en sorte que la pleine contribution de la dimension culturelle soit davantage mise à profit, mais il faudra la volonté politique et les efforts concertés des États membres, des organisations de la société civile, des gestionnaires de sites du patrimoine mondial, des professionnels de la culture, des dirigeants de communautés autochtones, des directeurs de musées, des artistes, des jeunes engagés et des citoyens du monde entier pour qu’elle réalise son plein potentiel et qu’elle puisse assurer de transmettre notre fragile planète bleue et verte aux générations futures.