Entretien avec Tania de Montaigne ̶ « Le réflexe archaïque, c'est la stigmatisation »
Cette série d’entretiens fait partie des initiatives de l’UNESCO pour répondre aux enjeux sociaux majeurs soulevés par la pandémie.
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Pourquoi la pandémie du COVID-19 a-t-elle alimenté de nombreux actes et messages de haines ?
Dans les moments très anxiogènes comme les guerres, les attaques terroristes et aujourd’hui la pandémie, la peur nous pousse à chercher des réponses simples et immédiates aux malheurs qui nous frappent. Le réflexe archaïque, c'est la stigmatisation de celui ou de celle qui n’est pas exactement soi, la discrimination. Ce n’est pas pour rien si, dans ces périodes douloureuses, on voit toujours une résurgence de propos et d’actes racistes, sexistes, homophobes... La beauté de l’âme humaine c’est de pouvoir s’opposer à ses pulsions irrationnelles (qui nous traversent tous et toutes) de la pensée. Et la chose formidable c’est que nous avons, pour nous aider à percevoir à quel point nous sommes plus grands que ce que nous croyons être, les autres : ceux et celles qui sauvent nos vies bien sûr ; ceux et celles qui prennent soin de nous en permettant que notre quotidien garde une certaine continuité ; ceux et celles aussi qui ont écrit et pensé avant nous. Toutes ces personnes sont des ressources qui permettent de tenir droit quand tout semble tanguer. Elles nous rappellent que plutôt que de se dresser contre l’autre, il vaut mieux s’adosser à lui.
Dans ce contexte, comment des initiatives, telles que cette Master Class, peuvent favoriser la tolérance et la non-discrimination ? Et plus particulièrement concernant les jeunes ?
En les rendant acteurs du sujet plutôt que spectateurs. Sur les questions de racisme ou de discrimination, souvent la posture adoptée est une posture morale, on dit aux gens « ceci est bien », « ceci n’est pas bien » comme si le sujet était clos et qu’il n’y avait pas à le penser. Or c’est un sujet qui travaille toutes les sociétés et tous les êtres humains quel que soit les époques et les milieux. C’est la preuve que dire « c’est bien » ou « ça n’est pas bien » ne suffit pas, sinon il n’y aurait plus de discriminations, de racisme ou d’homophobie depuis des siècles. La particularité de la Master Class, c’est qu’elle propose aux participants de se saisir d’outils et de connaissances, de les réfléchir, d’y apporter leurs propres expériences, de les confronter à celles des autres et de voir comment, ce qu’on prenait pour des certitudes au départ évolue à l’épreuve de la rencontre avec d’autres points de vue. Pour que les choses changent, plutôt que d’infantiliser, il faut traiter l’autre en être doué de pensée et c’est exactement ce qu’a mis en place la Master Class.
© UNESCO
En tant qu’artiste, quelle est la place des sujets évoqués lors de la Master Class dans votre travail ?
Je ne peux pas parler pour les artistes en général mais, dans mon cas, mon travail d’écriture et, depuis peu, de comédienne, a toujours été autour de la confrontation entre ce que l’extérieur dit de vous et ce que vous êtes vraiment. Mon dernier livre L’Assignation, les Noirs n’existent pas essaie d’entrainer le lecteur à ma suite dans une expérience qui permet de voir jusqu’à quel point nous sommes façonnés par le principe de la discrimination. Voir comment le langage nous conduit à hiérarchiser les êtres et comment chacun de nous est pris dans cette simplification de l’autre.
La lutte contre le racisme et les discriminations est une cause chère à l’UNESCO. D’un point de vue général, qu’apporte cette nouvelle initiative de Master Class ? Et pour vous en particulier ?
Une des grandes richesses de la Master Class c’est d’avoir créé les conditions d’une rencontre et donc l’impossibilité de se croire détenteur d’une vérité unique et indépassable. La clé de la tolérance est dans ce constat, mais c’est toujours plus parlant quand on le vit. Le fait d’avoir, d’une part, des intervenants venus de disciplines très différentes qui ont donc chacun une expertise et une façon singulières d’aborder et d'éclairer le sujet, et, d’autre part, d’avoir choisi des participants venant d’horizons, de milieux et de parcours très divers a produit les conditions d’une immersion et d’une véritable rencontre. Chaque participant a pu ainsi fabriquer sa propre boite à outils sans être pris dans un discours tout fait et, plus important encore, sans se sentir jugé, ce qui est fondamental.
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Tania de Montaigne est journaliste, comédienne et auteure de romans et d’essais dont Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin (Grasset), Prix Simone-Veil 2015, et L’Assignation. Les Noirs n’existent pas (Grasset), Prix de la laïcité 2018 (mention).
Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin a été adaptée au théâtre dans une mise en scène de Stéphane Foenkinos où Tania de Montaigne évolue seule sur scène.
Tania de Montaigne tient également une chronique mensuelle dans le journal Libération en alternance avec trois autres écrivains.
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