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Changer les mentalités à propos des aveugles et l’usage de la technologie au Kenya

“Un dictionnaire en braille fait 26 tomes, et chacun est assez lourd à porter pour l’élève moyen. Une tablette peut contenir des centaines de livres” a déclaré Irene Mbari-Kirika, fondatrice et Directrice exécutive d'InABLE, résumant ainsi le défi de son organisation.

InABLE a pour but non seulement d’autonomiser les élèves aveugles et malvoyants d’Afrique grâce à des technologies informatiques adaptées, mais aussi de changer la perception des voyants vis-à-vis de l’usage des technologies par les personnes handicapées.

Elle a fondé son organisation après avoir vu un groupe d’élèves aveugles essayant de partager un manuel en braille.

“Cinq élèves voyants pourraient partager un manuel, mais quand le toucher devient nécessaire, c’est impossible” a déclaré Mme Mbari-Kirika dans un entretien. Elle présentera son travail dans le cadre de la , la conférence phare de l’UNESCO pour les TIC dans l’éducation qui se tiendra au siège de Paris du 7 au 11 mars 2016.

“Les élèves ont besoin d’apprendre le braille pour lire et écrire, mais s'ils sortent de l'école équipés de ces seules compétences, ils s’aperçoivent qu'ils sont totalement déconnectés du reste du monde.”

Le programme InABLE coopère avec les écoles spécialisées pour aveugles du Kenya et compte  1 400 élèves qui apprennent à se servir des tablettes et étudient sur celles-ci, avec des lecteurs d'écran et en gros caractères.

La plupart des élèves aveugles disparaissent une fois sortis de l'école

Son but est de s’assurer que les enfants aveugles et malvoyants réussissent leur scolarité et entrent sur le marché du travail, de les munir de connaissances utiles tout au long de la vie afin qu’ils deviennent des citoyens productifs, que ce soit dans l’enseignement ou comme entrepreneurs.

“La génération des années cinquante est passée par les écoles pour aveugles du Kenya et qu’est-elle devenue ? On ne la retrouve pas dans les entreprises du Kenya. Il y a peut-être quelques enseignants, quelques avocats, mais les autres ont tout simplement disparu ou se retrouvent dans la mendicité ou la prostitution. C'est un gaspillage total de potentialités.”

La clé de son succès réside dans l’utilisation de terminaux intégrant des spécifications de bonne qualité pour les aveugles. 

“Comme la plupart des pays en développement, l'Afrique aime les produits Android parce qu'ils sont bon marché, mais Android n’est tout simplement pas accessible aux aveugles” dit-elle. “Si un élève ne peut pas allumer sa tablette ou l’utiliser sans aide, elle ne sert à rien.”

“Le défi est d’obtenir des entreprises technologiques qu’elles s’y intéressent dès le stade de la conception. Pour cela les mentalités doivent changer. Souvent l’accès par les handicapés n’est qu’après coup, ou alors les gouvernements ne comprennent rien à l'accessibilité. Nous sommes sans cesse en train d’éduquer les gens.”

Des efforts particuliers ont été réalisés en direction des filles

“Nous avons remarqué qu’elles abandonnaient l’école et nous avons fait des enquêtes. Les filles ont une barrière psychologique à franchir. Elles ont commencé par nous dire que les autres filles les avaient découragées ou que les garçons étaient très agressifs, accaparaient tous les ordinateurs et finissaient leur travail les premiers. Elles ont fini par dire qu’elles aimeraient développer leurs propres sites Internet.”

Elle y a vu la preuve que les enfants ayant des besoins particuliers pouvaient profiter de la technologie plus que les élèves voyants et que cela est rentable.

“Un élève de quatrième (12e niveau) doit dépenser chaque année 7 000 shillings (80 dollars) pour ses manuels. Le même élève aveugle, qui a besoin des mêmes manuels en braille, doit dépenser 61,000 shillings (610 dollars), c’est un coût prohibitif. Un terminal mobile peut contenir tous ces manuels et davantage encore, sous une forme numérique” ajoute-t-elle. “L’enfant est alors à égalité avec les autres, puisqu’il peut se procurer les manuels au même prix qu’un élève voyant. L'enfant aveugle n'a plus besoin d'être placé dans une école spécialisée.”

Il s’agit du deuxième entretien d’une série mettant en avant des utilisations innovantes des TIC dans l'éducation, à l'occasion de la de l’UNESCO.