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Aminata Diaw-Cissé : « On ne peut mettre fin aux violences sexistes sans comprendre la construction sociale qui leur sert d’arrière-plan. »

A la veille de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes (25 novembre), Aminata Diaw-Cissé, administratrice principale de programme au sein du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), revient sur les objectifs et les premiers résultats d’un projet sur le mouvement social des femmes et les violences sexistes mené, depuis 2011, en Gambie, en Guinée-Bissau et au Sénégal, par l’UNESCO, l’ONU-Femmes, le CODESRIA et les Commissions nationales pour l’UNESCO des pays concernés.

Comment le projet mis en œuvre par le Bureau de l’UNESCO à Dakar, avec le soutien de l’ONU-Femmes et du CODESRIA, peut-il contribuer à changer le quotidien des femmes dans les pays où il est mis en œuvre?
Les études initiées par ces trois institutions ont porté d’une part sur le mouvement social des femmes et d’autre part sur les violences basées sur le genre dans trois pays : Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau.

L’étude sur le mouvement social des femmes avait pour objectif de s’interroger sur la capacité de mobilisation des femmes, les formes que prend cette mobilisation pour défendre des intérêts des femmes et transformer une réalité sociale en fonction d’un contexte socio-culturel et politique déterminé, sur son historicité. Les termes de référence de ces études ont ainsi surtout insisté sur la nécessité d’étudier les forces et les faiblesses du mouvement social des femmes.

Comprendre la trajectoire de ce mouvement féminin, de ses forces, de ses faiblesses, permet à ceux et celles qui sont sur le terrain d’avoir une appréciation critique et intelligente de leurs pratiques, de pouvoir procéder aux réajustements nécessaires en fonction des faiblesses identifiées.

Si le mouvement social des femmes a pu faire montre d’une capacité de mobilisation, de contestation pour un objectif de transformation sociale n’a-t-il pas, chemin faisant perdu de sa substance politique ? Ne s’est-il pas départi d’une forme de radicalité qui est impérative dans le travail de transformation de la société ?

Le quotidien des femmes ne changera pas tant que leur pratique ne sera pas accompagnée du travail de théorisation qui seul donne sens, permet de saisir les enjeux et de transformer la réalité sociale en fonction de ces enjeux.

En quoi la contribution des sciences sociales est-elle utile pour mettre fin aux violences dont sont victimes les femmes ?
Ce travail de théorisation que nous venons de souligner est le propre des sciences sociales. On ne peut vouloir mettre fin aux violences basées sur le genre sans pour autant comprendre la construction idéologique, sociale qui sert d’arrière-plan  à ces violences, qui leur fabrique une légitimité adossée à des valeurs patriarcales qu’on croit consubstantielles à notre être, à notre culture. Ce travail de déconstruction des sciences sociales non seulement nous fait comprendre la logique de ces violences, mais il nous fait surtout voir la nécessité de se battre contre ces violences parce qu’elles ne respectent pas la dignité humaine. Les sciences sociales nous montrent aussi qu’en matière de violence il ne faut pas avoir de préjugés. La victimisation des femmes n’est pas une posture scientifique : les femmes sont aussi des actrices ou des productrices de violence. C’est pour comprendre tout cela qu’il a été fait appel aux sciences sociales.

Quels sont les principaux enseignements tirés des études conduites au Sénégal, en Guinée-Bissau et en Gambie ?
Je voudrais retenir deux ou trois enseignements. Par rapport à l’étude sur le mouvement social des femmes on peut retenir le caractère pluriel, non homogène du mouvement, son historicité, la dépolitisation de son discours et sa nécessaire re-politisation pour retrouver sa capacité à transformer la réalité sociale.

Par rapport aux violences basées sur le genre, les études ont insisté sur l’ampleur du phénomène malgré les dispositifs juridiques existants. Un espace a été particulièrement visé : l’espace scolaire, universitaire. Ceci est un  élément très important quand on voit toute la politique qui est bâtie autour de la scolarisation des filles mais surtout de leur maintien à l’école. Un effort a été noté cependant concernant le « reporting » des cas de violence.

Quelles actions concrètes sont attendues à l’issue des différents ateliers organisés sur le terrain avec les Commissions nationales pour l’UNESCO des pays concernés ?
La recherche n’a de sens que quand elle aide à transformer de manière positive la réalité sociale, quand elle contribue au bien-être des populations. Il s’agit de partager les résultats de ces  recherches, de les disséminer pour que les populations et surtout les femmes se les approprient. Ces études doivent innerver les programmes d’information, de sensibilisation et de plaidoyer sur le terrain que les acteurs peuvent entreprendre avec l’accompagnement des commissions nationales pour l’UNESCO.

Ce projet peut-il avoir valeur d’exemple pour d’autres pays africains ?
Si ce projet pouvait servir de point de départ à une série d’études couvrant un nombre significatif de pays africains, alors on aura accompli un grand pas.

Propos recueillis par Maréma Touré-Thiam

De nationalité sénégalaise, Aminata Diaw-Cissé a fait les classes préparatoires aux grandes écoles et a poursuivi ses études à l’Université de Nice (France) où elle a soutenu sa thèse de troisième cycle de philosophie. Elle a ensuite intégré le département de philosophie de la Faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) en 1986. Elle est présidente de la sous-commission Sciences humaines et sociales de la Commission sénégalaise pour l´UNESCO, vice-présidente de la West African Research Association. Elle a été successivement secrétaire générale du Conseil sénégalais des femmes et présidente de la commission scientifique de cette même association. Responsable des Rencontres et Échanges de la Biennale de Dakar depuis 2004 Aminata Diaw a également été la directrice de l´animation culturelle et scientifique au Rectorat de l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle est la responsable du Centre de recherches philosophiques et épistémologiques de l’École doctorale Études sur l’homme et la société et depuis juillet 2009 vice-présidente de la commission scientifique du CODESRIA.